
Le retail media a promis aux marketeurs quelque chose qu’ils attendaient depuis des décennies : la capacité de relier l’exposition aux médias à l’acte d’achat. Et pourtant, malgré des investissements importants et une vague d’innovations, la mesure reste l’aspect le plus débattu tout en étant le plus mal compris du retail média.
Pourquoi ? Parce qu’une bonne mesure nécessite bien plus que de compter les impressions ou de calculer le ROAS. Elle exige une intégration entre des systèmes de données fragmentés, des plateformes technologiques complexes, des dépendances externes, et des attentes multiples d’acteurs internes et externes — du marketeur de la marque au retailer, de l’acheteur média aux équipes commerciales et financières.
Le retail media n’est pas “plug-and-play” d’un retailer à un autre et bien entendu d’une marque à une autre. La mesure, en particulier, se situe au carrefour chaotique entre les médias, le marketing, l’analyse de données et le commerce.
Quels sont les causes de ces défis majeurs dans la mesure des campagnes retail média et quelles sont les pistes de solutions ?
1. La mesure doit s’aligner avec le canal et le modèle opérationnel du distributeur
Les distributeurs ne sont pas interchangeables ni même forcément comparable, et pourtant l’industrie publicitaire tente souvent d’appliquer un modèle de mesure universel à des formats et surtout à des contextes commerciaux fondamentalement différents. Et cela ne fonctionne pas. Même au sein de la grande distribution alimentaires, les différents formats de magasins, de la proximité, en passant par les hypermarchés pour finir sur les supermarchés, la multiplicité de ces formats de point de vente génère une complexité réelle et donc un besoin d’adaptation des méthodologies de mesure. Et que dire quand vous passez sur des enseignes de type bricolage, dont les cycles de vente sont aux antipodes de la grande distribution.
Prenons un exemple concret, un magasin de proximité ne peut pas être mesuré de la même façon qu’une chaîne de supermarchés cherchant à générer des paniers hebdomadaires, ou encore qu’un distributeur généraliste implanté dans plus de 30 départements, ou encore un réseau de boutiques de luxe entretenant des relations clients sur le long terme. Ce sont des modèles économiques différents.
Même au sein d’une même catégorie, deux distributeurs ne sont jamais structurés de la même manière : pénétration de la fidélité, maturité e-commerce, capacités média en magasin, stratégies promotionnelles — tout cela varie énormément. Cela signifie que la mesure doit refléter non seulement où la campagne a été diffusée, mais comment le distributeur fonctionne.
Quand nous simplifions trop la mesure avec des indicateurs génériques, nous risquons de fausser la perception du succès pour chaque partenaire retail.
2. La mesure doit refléter des objectifs marketing spécifiques
Toutes les campagnes ne visent pas la conversion. Cela paraît évident, et pourtant, nous utilisons systématiquement la hausse des ventes ou le ROAS comme indicateur de succès.
Le retail media doit commencer par le “pourquoi” de la campagne. La marque cherche-t-elle à :
- Lancer un nouveau produit ?
- Réengager des clients perdus ?
- Générer du trafic en magasin ?
- Renforcer la notoriété en haut de l’entonnoir ?
Chaque objectif mérite une approche de mesure distincte — et au-delà de cela, il faut penser à long terme. La valeur vie client, le taux de rétention, la fréquence d’achat et l’engagement multi-catégories sont tout aussi importants que la progression semaine après semaine. C’est ainsi que pensent les dirigeants du retail — peu importe ce que disent certains experts de l’industrie.
Quelques exemples de métriques à considérer :
- Campagnes de test produit : taux de conversion chez les nouveaux acheteurs, répétition dans les 60 jours
- Réactivation de clients perdus : taux de retour à l’achat, variation de fréquence
- Recrutement de nouveaux clients, acheteurs de produits concurrents.
- Notoriété de marque : portée, part de voix, hausse des recherches de marque
- Expansion du panier : adjacence de catégories, incidence multi-catégorie
Le succès n’est pas unidimensionnel. Il est temps d’arrêter de le mesurer comme s’il l’était.
3. Le retail media doit générer des résultats concrets et de la valeur pour le retailer — il ne doit pas être juste considéré comme une « cash-machine »
Soyons clairs : le retail media n’est pas un produit publicitaire ajouté en surcouche du retail. C’est une capacité commerciale à part entière. Elle doit refléter les valeurs, les objectifs et les promesses faites aux clients par le distributeur.
Il ne s’agit pas uniquement d’exploiter numériquement les linéaires ou d’extraire des budgets de partenaires. Le retail media doit mériter sa place en apportant de vrais résultats également aux retailers :
- Acquérir de nouveaux clients — mesurable
- Augmenter la fréquence des visites — mesurable
- Faire croître les paniers (en articles ou en euros) — mesurable
- Renforcer la fidélité — mesurable
- Construire la valeur de marque de l’enseigne — mesurable également !
Un retail media qui ne génère pas d’impact sur le business intrinsèque du retailer ne durera pas — ni auprès des marques, ni auprès des retailers, ni auprès des dirigeants (retail ou marque). Il doit être intégré à la stratégie commerciale et marketing du retailer, et non isolé comme une simple fonction publicitaire devant générer uniquement du cash.
4. Mesurer l’incrémentalité reste un exercice complexe
L’incrémentalité est essentielle. Mais elle est aussi difficile à mesurer — et rarement directe dans un environnement retail alors même que les marques s’attendent à un impact immédiat et positif sur leurs ventes. Des variables offline comme les promotions, la météo, la saisonnalité ou les prix des concurrents compliquent l’attribution. De nombreux distributeurs n’ont pas l’infrastructure de clean room ou les équipes data science nécessaires pour mener des expériences contrôlées à grande échelle.
Quelles sont les méthodologies existantes à date :
- Méthodes test-and-control utilisant les IDs de fidélité (issus des programmes du même nom) ou des segmentations géographiques.
- Méthodes de “holdout” excluant un sous-ensemble de publics ou de magasins.
- Comparaisons avant/après appuyées par des modèles prédictifs et des lignes de base
Ces approches n’ont pas besoin d’être parfaites ou encore statistiquement significative à 100%, elles doivent être cohérentes, reproductibles et compréhensibles par les annonceurs comme par les distributeurs.
L’incrémentalité est le KPI le plus désirable. Rendons-la accessible, pas intimidante ni frustrante !
5. Le manque de standard de mesure est réel, mais il sera compliqué de se limiter à une méthodologie unique
On entend souvent l’appel à la standardisation de la mesure des campagnes retail média, mais concrètement, que devons-nous standardiser ?
Forcer tous les retailers et leurs Retail Media Networks (RMN) à utiliser un modèle de mesure unique est à la fois peu probable et compliqué, voir impossible à mettre oeuvre.
À la place, le marché devrait s’aligner sur les enjeux suivants :
- Des définitions de métriques partagées (ex : comment on définit le ROAS, les fenêtres de conversion, la visibilité), basique mais ce n’est toujours pas une réalité, il est fréquent qu’une marque est une définition différente du ROAS que le retailer chez qui elle a acheté une campagne.
- Des méthodologies de mesure acceptées et normée (ex : comment on teste l’incrémentalité, ce qui est considéré comme une vente)
- Des normes de transparence des données et de leur traitement (ex : comment les audiences et les résultats sont rapportés)
Il nous faut créer un langage commun sans exiger une uniformité totale. Cela permettra la flexibilité tout en protégeant la crédibilité. Pensez-y non comme un cadre rigide, mais comme une grammaire partagée que les distributeurs, les marques et les agences peuvent utiliser couramment.
6. Mesurer la publicité non endémique demande plus de nuances
Avec l’arrivée croissante d’annonceurs non endémiques — de producteurs locaux à des banques ou à des assureurs nationaux — la mesure doit évoluer pour refléter l’engagement de l’audience plutôt que la conversion produit.
Nous segmentons actuellement les non-endémiques pour un projet client :
- Non-endémiques locaux : assurances régionales, réparations auto, éducation, santé, avocats
- Non-endémiques nationaux : compagnies aériennes, télécoms, services financiers
Ce qui compte pour ce type de campagnes, c’est la qualité de l’audience et si l’activation atteint l’objectif attendu pour la marque — souvent mesuré via des questionnaires type « brandlift », le suivi des conversions ecommerce via un pixel de tracking ou via des modèles MMM (media mix modeling).
Les distributeurs doivent clairement définir leur proposition de valeur non endémique et s’assurer que les mesures sont alignées avec les objectifs commerciaux et marketing de ces annonceurs.
7. Retail media onsite vs Retail media offsite
Le retail media onsite et instore opère généralement dans l’écosystème propriétaire du distributeur — applis, sites web, programmes de fidélité, écrans en magasin — où les données first-party et l’attribution au point de vente sont facilement disponibles.
Le retail media offsite s’étend au web ouvert via des campagnes programmatiques en extension d’audience— éditeurs, réseaux, plateformes sociales — en utilisant les audiences retail pour le ciblage, et avec unsuivi indirect des conversions via des plateformes comme LiveRamp.
Dans le retail media onsite et/ou instore :
- On peut mesurer les ventes par EAN.
- On peut attribuer les achats en ligne (drive, ecommerce) et aussi en magasin physique.
- On peut utiliser les IDs fidélité pour créer des groupes témoins.
Dans le le retail media offsite :
- On mesure la notoriété, l’engagement, les signaux d’intention.
- L’attribution est constatée après la campagne et pas en temps réel.
- Les données first-party améliorent le ciblage mais pas toujours les résultats et augmentent significativement les coûts des campagnes d’extension d’audience.
Confondre ces écosystèmes génère de la confusion dans la mesure. Les distributeurs doivent être clairs avec les annonceurs sur les différences de méthodologies de mesure entre ces deux leviers.
Assumons d’élever notre niveau d’exigence sur la mesure !
Pour que le retail media tienne ses promesses, il doit aller au-delà des performances médias — il doit produire de la performance retail. Ce qui signifie :
- Construire des cadres de mesure adaptés à la diversité des formats de points de vente et des comportements clients.
- Aligner les métriques avec les objectifs de campagne — ne pas se limiter au ROAS.
- Montrer de vrais résultats business — acquisition client, augmentation de la fréquentation, croissance du panier, fidélisation…
- Rendre l’incrémentalité faisable et pas seulement souhaitable.
- Créer un langage de mesure commun, même sans standardisation complète.
- Offrir aux annonceurs endémiques et non-endémiques des modèles adaptés qui valorisent leurs différences.
- Distinguer clairement comment mesurer le retail media onsite, instore du offsite.
Si la mesure du retail media est ardue et ambitieuse, elle est aussi la clé de la crédibilité, de la confiance et de sa monté en puissance auprès des marques. Les retailers doivent prendre l’initiative, définir leur philosophie de mesure et collaborer avec leurs partenaires pour faire évoluer notre façon de mesurer ce qui compte vraiment.
Raphaël Glatz